A l’origine de la série, il y a un dessin du Tintoret. Un corps nu jeté au travers de la page. De l’angle inférieur gauche à l’angle supérieur droit. Il repose, mais nulle indication n’est donnée du support. Il se soutient lui-même, alors qu’il figure un homme mort ou assoupi. Il est abandonné et en même temps arc-bouté, son bras droit semble replié sous son dos. Ses jambes sont croisées au niveau des pieds, son sexe repose au creux de l’aine. Le tronc est figuré par un moutonnement assez régulier de traits qui suggèrent les muscles et la cage thoracique. On finit par comprendre qu’il est suspendu dans la page par la vigueur et l’épaisseur du contour supérieur. C’est un arc continu de traits qui va de la cuisse à l’apex de la hanche, du creux de la taille à la poitrine, puis à l’attache des bras, qui le fait tenir couché. Il est fiché en l’air comme on ficherait en terre une académie sur pied. C’est un homme, on pense au Christ sur la pierre du tombeau. L’époque, les traces d’une mise au carreau qui en fait une étude préparatoire, le suggèrent fortement. Mais, ce pourrait tout aussi bien être un amant assoupi et serein. Il est mort ou dans le repli de la vie. Absent, mais frémissant.

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Puis sont venues les séances de travail avec un modèle. Christian. Choisi au hasard sur la foi d’une petite annonce dans un couloir de la Grande Chaumière. Face à face. Dessiner sur le motif. Silence dans l’atelier. Fusain. Dessiner sous la peau l’armature des muscles et des os. Comprendre que dessiner un corps, c’est mémoriser des proportions. Et puis, avec l’agilité regagnée du dessin, le sentiment qui vient habiter l’espace entre nous. Tout simplement, le partage de nos deux présences dans l’acte de dessiner. Le temps rendu sensible où se forge l’image. L’intuition que cela doit être proche de la compassion qui relie l’ermite à ses semblables, ses frères.

Le corps / l’éveil

Body / Bodhy / bod(h)y